Planète à louer


Que c’est bizarre de lire un bouquin de SF et d’en être l’un des méchants. Parce que dans Planète à louer, il est question de la planète Terre qui dans un futur proche entre en contact avec plusieurs races extraterrestres. Mais pas de bol : ces xénoïdes ne sont pas animés de belles intentions : au lieu de partager leur savoir et leur technologie avec nous, ils transforment notre planète en hôtel tout inclus où ils débarquent avec leur pognon intergalactique pour se payer une bonne tranche de vacances humaines et se relaxer un bon coup.  La Terre est sous une sorte d’embargo technologique qui la condamne à végéter. Les Humains survivent comme ils peuvent en récupérant les miettes de ce tourisme hégémonique. Car il y a moyen de se faire du blé, avec les xénoïdes, que ça soit en se prostituant ou en leur permettant d’utiliser votre corps comme « monture » afin qu’ils puissent vivre une vraie expérience à hauteur d’homme. Et puis il y a le Voxl, ce sport interplanétaire qui déchaîne les passions. Et l’art, évidemment, car s’il y a un truc que les Humains savent faire, c’est bien ça. Mais c’est une vie de peine et de misère où les prostituées ne vivent que dans l’espoir d’être inséminée par un xénoïde : certes, elles y passeront dans d’affreuses souffrances quand leur progéniture leur déchirera finalement les entrailles, mais en attendant, elles vivront comme des princesses.

Et en fait le livre ne parle absolument pas d’un futur possible mais d’un passé tangible : celui de Cuba des années 90. L’auteur, Yoss, s’appelle à la vérité José Miguel Sánchez Gómez et prend le prétexte de la SF pour mieux parler du désespoir cubain. Quand il parle des travailleuses sociales qui tapinent auprès des xénoïdes, il parle des filles qui essayent d’harponner un touriste pour s’échapper de l’île. Quand il met en scène des humains qui essayent de fuir le Terre à bord d’une improbable machinerie volante, c’est à la vérité ces cubains qui fuitent l’île sur des embarcations hasardeuses. Le Voxl, c’est le baseball et le frontón cubano. L’embargo technologique, c’est évident que c’est celui des Etats-Unis sur Cuba. Bref, c’est un splendide exemple de métaphore SF. Et je ne vous spoile en rien : l’auteur explique ça dès la préface du livre. Le roman est découpé en sept parties où l’on suit à chaque fois un Terrien/Cubain qui se démène pour mener un semblant de vie. Artiste de l’extrême, policier bas de plafond, petite fille qui ne croit pas à sa chance, scientifique qui essaye de faire défection… Chaque chapitre est un petit bijou qui dévoile une autre facette de cette Terre sous tutelle xénoïde.

Et donc, fort logiquement, si l’on suit la métaphore du livre, je suis un xénoïde puisque je débarque à Cuba avec mes gros dollars juteux quand je trouve que l’hiver québécois est trop long. Oh, je n’y mutile pas des prostitués pas plus que je ne transfère ma conscience dans le corps d’un Cubain pour aller au cœur de la Havane me perdre dans des fiestas interdites, mais je participe activement au système économique qui opprime l’île en la transformant en un lieu de villégiature irréel où les hôtels gaspillent de la bouffe alors qu’à quelques kilomètres de là, les étales des magasins sont vides. Oh, bien sûr, c’est la faute du communisme. Forcément. Sauf que pas seulement. Et que ma présence sur les plages cubaines est tout ce qu’il y a de plus impérialiste, sauf que mes devises canadiennes permettent aussi aux gens du cru d’avoir des salaires plus dignes que ce que l’économie locale ne permet. Car j’ai parlé avec un avocat reconverti en guide touristique. J’ai vu une médecin ne disposant que d’une unique aiguille et d’une seule seringue stérile recoudre le menton de ma fille puis refuser qu’on la paye pour ce geste. Bref, je suis un xénoïde, oui certes, mais je ne porte pas toute la culpabilité des miens sur les épaules. Faut pas déconner.


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