Abris souterrains de Paris, de Gilles Thomas et Diane Dufrasy-Couraud



Jusqu’à hier, je pensais que la Défense passive des années 30 et 40 ne nous avait légué que les sirènes qui nous font sursauter à midi chaque premier mercredi du mois. Grosse erreur !

Ce petit bouquin de 144 pages présente un pan méconnu de la contre-ville qui s’étend sous les pieds des Parisiens : les abris construits dans les années 30 en prévision d’une attaque allemande. Au bout du compte, la drôle de guerre ayant été relativement tranquille, ils ont surtout servi pendant l’Occupation pour protéger les populations des raids anglais et américains.


Et donc, après un petit cours sur la défense passive, les auteurs nous font visiter ce qui reste des diverses installations élaborées dans l’espoir de protéger les populations civiles. Caves d’immeubles renforcées pour protéger leurs occupants, abris-tranchées creusés dans les jardins publics, postes de secours en cas d’attaque chimique[1], stations de métro ou carrières reconverties… À tout cela s’ajoutent les abris allemands des années 40, quelques blockhaus camouflés plus ou moins subtilement, et même un tunnel pour trains chargés de V2.

Le texte est intéressant, parfois un peu grinçant, par exemple quand il signale que les arrondissements riches de l’Ouest parisien pouvaient protéger 100 % de leur population, alors que le pauvre et populeux XIIIe en couvrait à peine plus de 10 %, mais il s’efface devant les photos.

De la modeste cave soutenue par des boisages à d’immenses tunnels bétonnés en passant par de vastes abris anti-gaz dotés de sas, les abris se taillent la part du lion. Les photos modernes, de loin les plus nombreuses, voisinent avec des documents d’époque où l’on découvre des stations de métro bondées de gens plus ou moins hagards et mal réveillés, ou une contremarque de théâtre expliquant au spectateur qu’en cas d’alerte, il a sa place réservée dans l’abri voisin…

Pour moi, le plus marquant reste les photos d’éléments de mobilier urbain – les panneaux fléchés indiquant où aller, les consignes aux occupants des abris, les indications pas franchement rassurantes du type « au cas où les accès à votre abri auraient été détruits, défoncez ce mur, il donne sur une autre cave ». Quant à l’idée que, dans les années 30, il se soit trouvé une industrie des fabricants d’abri, dont l’un des leaders était la société Chéops, elle a de quoi faire phosphorer.

Vous pouvez certainement tirer de tout ça la matière de quelques scénarios décents pour un Appel de Cthulhu années 40[2]. Personnellement, les années 30 se confondant avec les années 50, j’y vois une masse de documents prêts à servir pour RétroFutur. Enfin, les photos de ce qui reste des accès ouvrent sur de l’étrange contemporain, de Mage à Unknown Armies – car qui peut être sûr de ce qui se trouve sous nos pieds ?

(Éditions Parigramme, 12,90 €)




[1] Désignés par la lettre-code Z, jugée moins anxiogène que le G de « Gaz ». On découvre donc au détour d’une page la photo d’une grille rouillée fermant un « service Z », qui ouvre des associations d’idées où l’ypérite tient peu de place.
[2] Du classique « vous êtes dix ans cet abri, l’un de vous a été poignardé pendant l’alerte » au spectaculaire « qu’est-il arrivé dans cet abri-tranchée dont les cent cinquante occupants ont été partiellement changés en cristal ? »

Commentaires